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samedi 5 mars 2011

Le foie gras et les avis bien inspirés du Programme National Nutrition Santé (PNNS)

Cela fait dix ans que la parole nutritionnelle divine descend sur nous sous la forme des préceptes alimentaires du Programme national nutrition santé (PNNS). Déjà 10 ans, et on n’est pas au bout : il y a eu un PNNS 1, un PNNS 2 et voilà qu’on nous annonce un PNNS 3. Mais si les chiffres changent, au moins on n’est pas dépaysé. Depuis 10 ans, ce sont toujours les mêmes slogans. Mangez moins gras. Mangez des féculents à chaque repas. Mangez des laitages à chaque repas. Que valent ces recommandations ? Par essence, elles se veulent incontestables. L’objectif du PNNS est en effet de « proposer des recommandations fiables et scientifiquement validées, pour aider la population et les professionnels du secteur à décrypter les informations parfois contradictoires que l’on entend tous les jours sur la nutrition. »

En bons iconoclastes, nous avons déjà eu, à LaNutrition.fr le loisir de torpiller certaines de ces recommandations. Soyons honnêtes, il y a aussi de bonnes choses dans le PNNS. Mais si l’on en est à dépenser des dizaines de millions d’euros pour répéter aux Français ce que leur mère leur a toujours dit, à savoir qu’ils doivent manger leurs fruits et leurs légumes, peu sucrer et peu saler, qu’attend le gouvernement pour financer des campagnes nous alertant sur la nécessité de boire chaque jour, se brosser les dents, se laver, s’habiller chaudement en hiver et moins chaudement en été, traverser au feu rouge, appuyer sur la pédale de frein pour s’arrêter, se moucher quand le nez coule, prendre un parapluie en cas d'intempérie, ne pas circuler sur l’autoroute à contre-sens ou souffler sur la soupe quand elle est trop chaude.

Les avis les plus douteux du PNNS ont cet intérêt de se situer à la croisée des intérêts de l’industrie. Prenez les féculents, une gloire de la production agricole et de l’industrie agro-alimentaire. Pour le PNNS, évidemment, on n’en mange pas assez. Selon le PNNS, en effet, les féculents « nous apportent ce qu’on appelle des « glucides complexes » qui contrairement aux glucides simples des aliments sucrés (sucre, boissons sucrées, confiseries, pâtisseries, desserts lactés, etc.) fournissent une énergie que le corps est capable d’utiliser progressivement. » Le premier étudiant en diététique venu peut vérifier lui-même que c’est un mensonge. La majorité des féculents sont digérés rapidement. Ils ont, comme on le dit en nutrition, un « index glycémique (IG) élevé ». C’est vrai pour la plupart des pains blancs, la majorité des céréales du petit déjeuner, la plupart des plats de pommes de terre, le riz blanc… Même le pain complet, s’il est à base de blé et de levure, a un IG élevé.

A la question de savoir si les féculents font grossir, le PNNS répond : « Non, contrairement à ce qu’on pense souvent, les féculents ne font pas grossir. C’est par contre ce qu’on a l’habitude de mettre avec qui enrichit considérablement les plats. D’ailleurs, les féculents sont une bonne manière d’éviter la prise de poids, puisqu’ils permettent de tenir entre les repas et évitent ainsi le grignotage à tout moment de la journée. » Là aussi, on peut voir le nez du PNNS s’allonger.

Il ne fait aucun doute que les régimes riches en féculents, tels que rêvés par le PNNS, font grossir, tout simplement parce que le corps sait convertir de manière très efficace en graisses les glucides qu’ils apportent. A la manœuvre, l'insuline, une hormone sécrétée par le pancréas pour permettre aux cellules d’utiliser cette énergie disponible. Récemment, plusieurs équipes de chercheurs ont montré que ces aliments – et l’insuline qu’ils stimulent - sont aussi à l’origine d’une épidémie de stéatose hépatique, c’est-à-dire une épidémie de foie gras. Selon David Ludwig, de l’hôpital pour enfants de Boston, l’un des meilleurs connaisseurs des glucides, les recommandations nutritionnelles visant à se détourner des corps gras ont conduit les gens à consommer plus de glucides et de féculents généralement à IG élevé avec pour conséquences une augmentation de l’adiposité, jusque dans le foie. Le processus est exactement similaire, toutes proportions gardées, à celui qui permet dans nos campagnes la fabrication du foie gras par gavage de maïs grain et de maïs doux. Près de la moitié de la population américaine souffrirait de stéatose hépatique et une étude vient de montrer qu’un régime pauvre en glucides est le moyen le plus efficace d’inverser le cours de cette nouvelle maladie.

Rappelons-le, l’objectif du PNNS est de « proposer des recommandations fiables et scientifiquement validées, pour aider la population et les professionnels du secteur à décrypter les informations parfois contradictoires que l’on entend tous les jours sur la nutrition. » Comme disait la Mère Denis, « C'est ben vrai ça ! »


dimanche 20 février 2011

Experts et médicaments : les conflits d'intérêt à l'Afssaps

L’affaire du Mediator a révélé au public les effets désastreux de la complicité qui règne entre un grand nombre d'experts de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et les laboratoires pharmaceutiques. Mais l'affaire du Mediator était inévitable, comme Isabelle Robard et moi-même l'avons écrit dans Santé, mensonges et propagande (Seuil). Je voudrais retracer ici le fil des évènements qui depuis 20 ans a conduit à cette situation.

Avant l’agence du médicament

Jusqu’en 1993, les autorisations de mise sur le marché des médicaments étaient délivrées par la Commission des AMM de la Direction de la pharmacie et du médicament (DPhM). Dans cette commission siégeaient 23 experts titulaires et 23 experts suppléants. Près de 80% d’entre eux travaillaient pour l’industrie pharmaceutique ou pour des sociétés qui conseillaient les laboratoires.

En 1994, la justice s’était ainsi intéressée à la réalité des prestations de Médiconseil, une société de conseil pour l’industrie pharmaceutique dirigée par l’adjoint au maire d’une ville de province. Le chiffre d’affaires de cette société avait connu une progression remarquée après la nomination, à la fin des années 1980, de son directeur à la Commission d’autorisation des médicaments.

Cette situation était propice aux dérapages. En témoignent les circonstances de mise sur le marché en 1985 d’un vasodilatateur cérébral, l’Adlone (exifone) Avant même d’être autorisé, ce médicament avait entraîné des atteintes hépatiques bien documentées, pour une efficacité contestable. L’expert de la DpHM avait donc donné deux avis défavorables, mais le ministère avait préféré faire appel à un autre expert plus complaisant. Le médicament a donc reçu son autorisation de mise sur le marché avant que son AMM soit suspendue quelques années plus tard suite à 82 cas d’hépatites dont un mortel.

Les efforts de transparence de Didier Tabuteau

Ces affaires, mais aussi celle du sang contaminé, ont conduit à la création en 1993 de l’Agence du médicament. Celle-ci avait pour objectif de « garantir l’indépendance, la compétence scientifique, le bon fonctionnement des études et des contrôles en ce qui concerne la fabrication, les essais, les propriétés thérapeutiques et l’usage des médicaments. » Des objectifs que l’Agence du médicament devait concilier avec celui de « contribuer au développement de la recherche pharmaceutique et des activités industrielles. » Un exercice délicat.

Alors, en 1995, après les remous suscités par l’affaire du sang contaminé, le directeur de l’époque, Didier Tabuteau décide la mise en place des déclarations d’intérêt pour, que l’agence soit à la fois « d’un très haut niveau scientifique et absolument irréprochable. »
Concrètement, les experts siégeant à l’Agence du médicament devaient, dans une déclaration sur l’honneur dire, s’ils ont des liens directs ou indirects avec des organismes, des entreprises, des établissements, des sociétés de conseil dont l’activité entre dans les domaines de compétence de l’Agence. Cette initiative sera reprise pour l’Afssaps.
La décision de Didier Tabuteau était un bon point pour la transparence. Mais a-t-elle fait disparaître les risques de dérapage ?
« Lorsque l’on prend connaissance de ces déclarations d’intérêt faites par les personnes siégeant dans les comités scientifiques de l’agence du médicament, on reste rêveur, » écrivions-nous dans Santé, mensonges et propagande, spécialiste du droit de la santé. « Par exemple, la lecture du rapport de 1996 fait apparaître qu’onze personnes sur les vingt-cinq siégeant au conseil d’administration de l’Agence du médicament déclaraient des intérêts, tandis qu’au conseil scientifique de l’Agence, pourtant chargé de veiller « à la cohérence de la politique scientifique de l’Agence, c’était le cas de vingt-deux personnes sur vingt-sept. Sur quatre cent dix-sept personnes présentes dans les commissions spécialisées rattachées à l’Agence du médicament, plus de trois cents avaient des intérêts dans les laboratoires pharmaceutiques les plus divers ! »

L'année précédente, sur les 56 membres de la Commission d’AMM, celle qui est chargée de délivrer les autorisations aux médicaments candidats, seuls 5 experts ne déclaraient aucun lien (ce qui ne signifie pas qu’ils n’en avaient pas !). A lui seul, le laboratoire français Rhône Poulenc pouvait compter sur 16 « représentants. » En 1997, 66 des 78 membres de cette commission d’AMM déclaraient des liens financiers avec l’industrie.

La création de l'Afssaps n'a rien réglé

Ce qui devait conduire en 1998 la Cour des comptes à relever, dans son rapport annuel au parlement, que « le nombre élevé de liens avec l’industrie pharmaceutique reconnus par les membres des commissions conduit nécessairement à poser la question de leur neutralité. »
A sa création en 1998, l’Afssaps reprend le principe des déclarations d’intérêt instauré par Didier Tabuteau, un rapport de 1997 ayant précisément fait état de la « crainte qu’il puisse y avoir des interférences entre les considérations économiques et d’ordre sanitaire. »
Quelle est la situation depuis ?

En 2003, relevait-on toujours dans Santé, mensonges et propagande, sur les 665 personnes siégeant dans les diverses commissions ou au conseil d’administration de l’Afssaps, 415 (c’est-à-dire 62,4 %) déclaraient un lien avec l’industrie. Seules 207 (31,1 %) ne déclaraient aucun lien, sous réserve que leur mémoire ne leur joue pas des tours !

Et il y a en effet de quoi s'inquiéter pour leur mémoire. Dans un rapport, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) stigmatisait le comportement de l’Afssaps dans la mesure où « l'agence ne s'assure pas que tous les experts ont rempli leur déclaration. [...] S'agissant des experts sollicités dans le cadre de l'instruction des dossiers d'AMM [autorisation de mise sur le marché], cette part atteint 48 %. »

C’est sur cette trame qu’allaient se développer les affaires du Staltor (cérivastatine), du Vioxx (rofécoxib), du Sibutral (sibutramine), de l’Acomplia (rimonabant), de l’Avandia (rosiglitazone), du Mediator (benfluorex). Tous ces médicaments ont été retirés au cours des dernières années, après avoir reçu la bénédiction des autorités sanitaires alors même que leurs effets indésirables étaient connus dès leur mise sur le marché ou peu de temps après.

Dans un prochain blog, j'aborderai les conflits d'intérêt dont on parle moins : ceux qui concernent l'industrie agro-alimentaire.